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La mission IGAS préconise de ne pas pérenniser l’expérimentation du CDIE et d’aménager le cadre du CDI Intérimaire

Evaluation du contrat à durée indéterminée aux fins d’employabilité (CDIE) par l’Inspection générale des affaires sociales

Le ministère du Travail a rendu public le 25 octobre 2024 le rapport d’évaluation du contrat à durée indéterminée aux fins d’employabilité (CDIE) confié à l’Inspection générale des affaires sociales, dans le cadre de l’évaluation de l’expérimentation qui s’est déroulée de septembre 2018 au 31 décembre 2023.
Le 29/10/2024
National
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Le ministère du Travail a rendu public le 25 octobre 2024 le rapport d’évaluation du contrat à durée indéterminée aux fins d’employabilité (CDIE) confié à l’Inspection générale des affaires sociales, dans le cadre de l’évaluation de l’expérimentation qui s’est déroulée de septembre 2018 au 31 décembre 2023.

Ce rapport, daté de juillet 2023, intervient après le rapport intermédiaire du gouvernement en mars 2022 et celui de la mission flash de l’Assemblée nationale en juillet 2023. Ces documents relevaient déjà que ce dispositif souffrait de nombreuses limites et que le resserrement des publics éligibles sur les personnes les plus éloignées de l’emploi était indispensable. 

Les partenaires sociaux de la branche du travail temporaire ont à plusieurs reprises demandé la transparence sur les données relatives au CDIE. Dans leur courrier unanime du 17 novembre 2023, ils ont également réclamé la publication du rapport de l’IGAS.

Depuis le début de cette expérimentation en 2018, Prism’emploi a attiré l’attention sur le fait que le CDIE ne répondait pas à un besoin avéré et risquait d’entrer en concurrence frontale avec le CDI intérimaire pourtant plus protecteur pour les salariés. Prism’emploi a ensuite déploré que le CDIE se développe dans l’opacité, faute d’une transmission des données nécessaires à son suivi et son évaluation pourtant prévue par la loi de 2018. En soulignant également ces limites, le rapport de l’IGAS préconise très logiquement de :

  • ne pas pérenniser l’expérimentation du CDIE, 
  • d’envisager la suppression de l’encadrement des motifs de recours au CDI Intérimaire et de réintroduire en parallèle une durée maximale de mission,
  • et de conditionner la mise en œuvre de cette évolution à une négociation paritaire au sein de la branche du travail temporaire. 

   

« L’expérimentation CDIE a été peu cadrée dans ses objectifs, ses moyens et l’écriture du texte » 1

Le contrat à durée indéterminée aux fins d’employabilité est une forme dérogatoire de contrat de travail à temps partagé, même si dans la plupart des cas les salariés en CDIE ont été mis à disposition d’une seule entreprise. 

Le travail à temps partagé ne concernait lors de sa création en 2005 que des salariés qualifiés mis à disposition de PME mais l'objectif affiché du CDIE était de favoriser l'insertion de personnes connaissant des difficultés particulières, y compris au sein de grandes entreprises. Le cadre juridique très souple du CDIE est caractérisé par une absence de motifs de recours (contrairement au CDII, au CTT et au CDD), de durée limite de mission, de responsabilité de l'entreprise y ayant recours en termes de santé/sécurité, de garanties de branche sur le terrain de la santé et de la prévoyance... 

Prism’emploi avait exprimé ses doutes auprès du gouvernement et de la représentation nationale sur l’intérêt de ce dispositif et ceci pour plusieurs raisons :  

  • Une concurrence à l’égard des dispositifs existants plus protecteurs pour les salariés : les critères d’éligibilité au CDI aux fins d’employabilité étant alternatifs et non cumulatifs, il ne touchait pas les personnes les plus éloignées de l’emploi et pouvait en raison de sa grande souplesse se substituer, dans certaines entreprises et pour des raisons juridiques voire financières, au CDI Intérimaire ou à d’autres formes de contrat. 
  • Une impossibilité technique d’identifier précisément les CDIE via la DSN et une absence de transmission des informations attendues des entreprises de travail à temps partagé (ETTP).

   

Ces doutes ont été confirmés par le rapport qui note d’ailleurs que « la mission s’est heurtée à l’absence de moyen pour identifier de manière exhaustive l’ensemble des entreprises de travail à temps partagé et, en leur sein, celles recourant au CDIE ».

D’autre part, les rapporteurs précisent que l’intérêt du CDIE pour les entreprises utilisatrices est bien la grande flexibilité offerte par ce contrat, résumée ainsi : « le CDIE est un moyen privilégié de faire travailler des salariés sans limite de temps, tout en conservant la possibilité de s’en séparer quand elles le souhaitent ».2

En matière de garanties apportées aux salariés, la mission note une grande hétérogénéité des pratiques au sein des ETTP et l’absence de cadre régulateur « tel que celui mis en place par la branche de l’intérim » ce qui pourrait « favoriser le développement d’ETTP moins-disantes ». 

Fait particulièrement choquant, la mission constate que rares sont les ETTP qui ont procédé à l’abondement supplémentaire au CPF des salariés en CDIE (ne respectant pas, ainsi, l’obligation prévue par la loi de 2018) et que l’offre de formations certifiantes serait « faible et moins développée que pour le CDI Intérimaire ».3

   

S’agissant des personnes éligibles au CDIE, la concurrence frontale avec le travail temporaire et plus particulièrement le CDI Intérimaire, pleinement assumée par les promoteurs de ce contrat, est relevée par la mission.

    

Le SEED, organisation professionnelle d’employeurs des ETTP, avait publié sur son site internet des perspectives de déploiement du CDIE afin d’en assurer la promotion. 

L’objectif affiché de transformation en CDIE à l’horizon 2027 de 100% des CDII et de 20% des contrats de travail temporaire avait fortement interpellé Prism’emploi. Un autre document présente le CDIE comme susceptible de concerner “un marché cible de plus d’un million d’emplois salariés”, en mettant en exergue l’intérêt de “bénéficier d'une tarification accident du travail et d'une contribution formation professionnelle réduites”.

S’agissant de l’objectif assigné au CDIE, les rapporteurs soulignent que « le ciblage des publics défini par la loi est trop large pour atteindre les personnes éloignées de l’emploi et recoupe largement celui du CDI intérimaire dans les faits » et que les salariés recrutés en CDIE ont un profil plus proche des salariés intérimaires que des salariés en insertion par l’activité économique4. Elle constate ainsi que 43% des salariés en CDIE étaient déjà en poste dans l’entreprise utilisatrice5 dont 21% en intérim, et 7% en poste dans une autre entreprise, dont 2% en intérim. Les bénéficiaires n’étaient donc pas majoritairement des personnes éloignées de l’emploi.

     

« Accorder plus de flexibilité aux entreprises tout en assurant une plus grande stabilité dans le travail pour les salariés intérimaires pourrait passer par une modification de l’équilibre du CDI intérimaire »

    

Les rapporteurs soulignent que « la protection légale et conventionnelle des droits des salariés (en CDIE) …/… est également moindre que dans le cadre du CDI intérimaire »6. En effet, le CDI Intérimaire « s’appuie sur le socle conventionnel abondant du travail temporaire construit sur le long terme par les partenaires sociaux ».7  

Ils en concluent que « l’écart de règles entre le CDIE et le CDII, en particulier en ce qui concerne la flexibilité du recours, représente un risque de substitution du CDIE au CDII et d’externalisation accrue et non contrôlée de l’emploi » et « laisse place à de potentiels comportements non vertueux, avec un risque de moins-disant social et de concurrence déloyale avec le CDI Intérimaire ».

Afin d’éviter cet écueil et dans la mesure où « les éléments disponibles à ce jour ne permettent pas d’établir que le CDIE permettrait d’atteindre l’objectif (d’améliorer l’employabilité des personnes) mieux que le CDI Intérimaire », le rapport recommande ainsi de ne pas pérenniser l’expérimentation du CDIE et de s’appuyer sur le dispositif existant du CDII, en le faisant évoluer pour répondre au besoin de flexibilité des entreprises et de sécurisation des parcours des professionnels, une orientation à laquelle Prism’emploi est favorable. 

Il est ainsi préconisé de supprimer les motifs de recours listés à l’article L1251-6 dans le cadre du CDI intérimaire et estime qu’une telle disposition devrait s’accompagner « d’une borne temporelle à l’accueil de salariés mis à disposition » afin d’éviter « une externalisation sans limite et une substitution à l’embauche directe. »8

Selon l’IGAS, les modalités devraient être négociées dans le cadre du dialogue paritaire de la branche du travail temporaire.

« Le rapport de l’IGAS apporte les éclairages que Prism’emploi attendait sur les limites et les résultats de l’expérimentation du CDIE, malgré un défaut flagrant des données nécessaires à évaluation en continu. Il s’agit d’une situation d’opacité choquante pour une expérimentation, à laquelle ce rapport n’a pu remédier qu’au prix de recherches très approfondies », déclare Gilles Lafon, président de Prism’emploi. « Les risques de dérive de ce contrat socialement moins disant sont clairement identifiés, et en particulier la déstabilisation potentielle de nos 50 000 CDI intérimaires, au détriment des salariés concernés », poursuit-il. « Nous nous félicitons que le Sénat puisse désormais poursuivre l’examen du projet de loi sur des bases aussi complètes et objectives ». 

   

   

1Rapport IGAS n° 2023 – 011R page 13
2Rapport IGAS n° 2023 – 011R page 3
3Rapport IGAS n° 2023 - 011R page 4
4Rapport IGAS n° 2023 - 011R page 32
5Rapport IGAS n° 2023 - 011R Annexe page 82, tableau 5.
6Rapport IGAS n° 2023 - 011R page 53
7Rapport IGAS n° 2023 - 011R page 38
8Rapport IGAS n° 2023 - 011R page 68

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